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Absence de diagnostic anténatal d'une translocation 4-12 malgré la réalisation d'un caryotype par amniocentèse. Qui est responsable?

Dr JP Chemla, Dr G. Valleur, Dr O. Philippe, Pr Y. Aujard

Me B. Zandotti

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Les faits

Mme M., 25 ans au moment des faits, dont il s’agissait de la première grossesse et du premier accouchement, a donné naissance, après 2002, à un enfant de sexe féminin, prénommée E., après application d’un forceps à la partie moyenne du bassin et épisiotomie latérale droite. E. pesait à la naissance 2,520 kg, son score d'Apgar était normal à 5 min de vie. Elle présentait un syndrome poly-malformatif avec prédominance d’une dysmorphie faciale associant, un front fuyant, un hypertélorisme, un épicanthus bilatéral, un nez de petite taille et large à la pointe ainsi qu'à la base ainsi qu'un rétrognathisme avec fente incomplète de la gencive et de la lèvre supérieure. Il existait un souffle systolique au foyer pulmonaire. Ce tableau polymalformatif a été rapidement mis sur le compte d’une anomalie chromosomique, confirmée par la réinterprétation du caryotype effectué en prénatal, à savoir une translocation 4-12 déséquilibrée. Cette translocation était d’origine paternelle. E. présente lors de l’accedit, en 2018, à l’âge de 14 ans, un retard staturo-pondéral et psychomoteur qui la rendent totalement dépendante de son entourage. Elle a une surdité bilatérale profonde. Elle ne marche pas, ne parle pas, ne tient pas assise et est alimentée par une sonde de gastrostomie. Ce syndrome polymalformatif correspond à un syndrome de WOLF-HIRSCHHORN.

Mme M. avait bénéficié, lors de la grossesse en cause, d’une échographie au 1er trimestre qui avait trouvé une clarté nucale mesurée à 3,5 mm (99ème centile), raison pour laquelle un test de dépistage de la trisomie 21 avait été réalisé, évalué à 1/490. Compte tenu de la mesure, au 99ème centile, de clarté nucale, une amniocentèse pour caryotype standard a été proposée et réalisée au CPDPN du CHR. Le caryotype n’avait pas retrouvé d’anomalie chromosomique. Il avait donc été préconisé de réaliser une échocardiographie fœtale vers 28 SA, qui n’avait pas mis en évidence d’anomalie. Des signes d’appel échographiques étaient apparus à l'échographie du 3ème trimestre de la grossesse (retard de croissance et dysmorphie faciale). La patiente avait de nouveau été adressée au CPDPN du CHR. Un échographiste référent avait confirmé l’existence de ces signes d'appel et relevé une hypoplasie des os propres du nez, un philtrum court et un léger rétrognathisme. Le dossier avait été présenté au staff de diagnostic anténatal. Les lames de l’amniocentèse avaient été relues et réinterprétées et il n’avait pas été retrouvé d’anomalie. Il avait été conseillé de poursuivre la grossesse, sous surveillance échographique. Les conclusions du staff du CPDPN mentionnaient néanmoins que, malgré la normalité et le caractère rassurant du dossier, on ne pouvait pas éliminer totalement une anomalie génétique.  Le couple a, depuis, eu un autre enfant porteur de la même translocation, mais équilibrée cette fois, détectée par une biopsie de trophoblaste. Cette examen avait été réalisé en raison des antécédents de Mme M.


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Griefs 


Les demandeurs reprochent l'absence de diagnostic anténatal de la pathologie génétique qui affecte leur fille ce qui les a empêchés d'avoir recours à une interruption médicale de grossesse.


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Avis du Collège d’experts


Le dommage consiste en une absence de diagnostic anténatal d'une délétion chromosomique responsable d'un handicap majeur. Le Collège d'expert était constitué d'un gynécologue obstétricien, d'un pédiatre néonatalogiste et d'un médecin échographiste membre d'un CPDPN. Selon eux les investigations de diagnostic anténatal au CPDPN ont été conformes aux recommandations de bonnes pratiques. Ils notent qu'en 2004 la pratique et les obligations médico-légales du diagnostic anténatal étaient très différentes d'aujourd'hui. Les sociétés savantes étaient en cours d'élaboration pour améliorer la pertinence des échographies obstétricales de dépistage et de diagnostic. Par ailleurs les techniques échographiques, cytogénétiques et les connaissances des pathologies fœtales étaient très différentes à l'époque des faits. Les séries publiées de l'époque estiment que la majorité des diagnostics est portée en post-natale et que le caryotype prénatal peut être rendu normal dans 3 cas sur 6 alors même qu'une anomalie est présente. Selon les experts, dans le cas présent, l'explication de la non-visualisation de l'anomalie chromosomique en période anténatale sur le caryotype standard vient probablement du fait qu'un fragment de chromosome 12 s'est mis à la place d'une partie du chromosome 4 perdu, sans que cette partie du chromosome 4 n'aille sur le chromosome 12. Ils précisent qu'une orientation vers une délétion du chromosome 4 aurait pu être possible en anténatal. En effet, si cette étiologie avait été soulevée, une demande d'hybridation aurait pu être faite et aurait permis de retrouver cette anomalie. Cependant la rareté de cette anomalie et la relecture du caryotype interprétée comme normal, ont rassuré le CPDPN. Il est donc conclu que le dossier de Mme M. était plutôt rassurant bien qu'il ne fût pas possible d'éliminer formellement un syndrome polymalformatif dans ce contexte. Enfin, les experts ajoutent qu'il n'existait pas, sur les échographies, suffisamment d'arguments pour dire que le fœtus avait de façon certaine une pathologie d'une particulière gravité, reconnue comme incurable, selon les termes de la loi autorisant la réalisation d'une Interruption Médicale de Grossesse (IMG). Il n'existait donc pas de ce fait d'alternatives thérapeutiques et les arguments en faveur d'une possible IMG n'ont pas été jugés suffisants pour la proposer aux couple des demandeurs.


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Avis de la CCI


La commission considère que l'absence de diagnostic anténatal de la délétion partielle du chromosome 4 ne peut être reprochée à l'équipe du CPDPN. Elle considère que si un examen par fluorescence a permis de faire apparaître qu'il existait un seul signal de fluorescence pour la partie terminale du bras court du chromosome 4 et confirmer la délétion à l'origine de la pathologie de E., c'est parce que cette recherche a été ciblée du fait des constatations faites à la naissance. Cependant, aucune recommandation ne conduisait à réaliser cette recherche ciblée, avant la naissance, sur la base des éléments dont les professionnels de santé avaient connaissance. Elle ne retient aucune faute imputable au CPDPN du CHR ni d'ailleurs aux autres acteurs de la prise en charge de Madame M. qui ont été également mis en de cause. Par ailleurs, l'article L 11 42- 1 du code de la santé publique, dispose qu'ouvre le droit à la réparation au titre de la solidarité nationale les préjudices du patient lorsqu'ils sont directement imputables des actes de prévention de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour la patiente pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présente un caractère de gravité fixé par décret. En l'espèce, le syndrome polymalformatif n'est pas la conséquence d'un accident médical mais d'une pathologie génétique dont le diagnostic n'a pu être établi avant la naissance et qui survient avec une fréquence d’1 sur 50000 naissances. La commission en déduit que le dommage présenté par clémence est exclusivement à reporter à sa pathologie initiale et à son état antérieur et ne saurait donc être imputée à un acte de prévention du diagnostic de soin mais à une pathologie génétique. En conséquence, les conditions d'indemnisation par la solidarité nationale telles qu'elles résultent de l'article

L-1142-1 du code de la santé publique ne sont pas remplis. La demande d'indemnisation présentée par Madame M. est donc rejetée.

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Commentaire médical


  • La mesure de la clarté nucale au cours de l'échographie du premier trimestre entre 11 et 14 semaines d'aménorrhée (SA) est aujourd'hui nettement identifiée comme marqueur d'anomalies chromosomiques fœtales et particulièrement de trisomie 21. En l'absence d'anomalie du caryotype, une augmentation de l'épaisseur de la clarté nucale est associée à un risque plus élevé de pertes fœtales, de malformations cardiaques, squelettiques ou pulmonaires, de syndromes génétiques et de pathologies à révélation postnatale tardive. En l'absence d'aneuploïdie, le pronostic périnatal n'est pas statistiquement défavorable si l'hyperclarté est inférieure au 99e percentile. Ce risque augmente ensuite de façon exponentielle avec la mesure de la nuque. Cependant, lorsque l'échographie morphologique de 18-22 SA est normale avec résolution de l'hyperclarté nucale, le pronostic néonatal des enfants nés vivants est le même que celui des enfants issus de la population générale.

 

  • Le syndrome de Wolf-Hirshhorn (SWH) est une maladie génétique rare survenant majoritairement par délétion (perte d'un fragment chromosomique) de novo (non transmise par les parents) de l'extrémité distale du bras court du chromosome 4 (4p) contenant la région critique minimale du syndrome au locus 4p16.3.


Commentaire juridique .


  • Les professionnels de santé ont vis à vis de leurs patients une obligation de moyens qui consiste, entre autres, à administrer des soins conformes aux données de la science de l'époque. En l'espèce l'absence de diagnostic anténatal malgré les moyens déployés ne résultent pas d'un manquement mais du fait, comme l'écrivent les experts, qu'à l'époque des faits "...la pratique au quotidien et les obligations médico-légales du diagnostic anténatal étaient très différentes d'aujourd'hui. Les sociétés savantes étaient en cours d'élaboration pour améliorer la pertinence des échographies obstétricales de dépistage et de diagnostic. Par ailleurs les techniques échographiques, cytogénétiques et les connaissances des pathologies fœtales étaient très différentes..."


  • Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, ou, en cas de décès, de ses ayants droit, par la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et qu’ils présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire.

 

  • Pour pouvoir bénéficier d’une prise en charge par la solidarité nationale via l’office national d’indemnisation des actes médicaux (ONIAM), il faut, au-delà de critères de gravité juridiquement définis, que le dommage résulte d’un accident médical et non d’une pathologie génétique sans lien avec la prise en charge. En l’espèce l’ensemble des moyens à disposition des praticiens à la date des faits litigieux ont été mis en œuvre ce qui rend non fautif le défaut de diagnostic.

 

Bibliographie 


 

 

 

Commentaires


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