Absence de diagnostic d’une atrésie des voies biliaires-avitaminose K
- Olivier Philippe
- 2 mars
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 3 mars
Il s'agit ici d'un nourrisson qui a dû subir une greffe du foie à 17 mois de vie du fait d'un retard au diagnostic d'une atrésie congénitale des voies biliaires.

Les faits
E. naît à 40 SA après une grossesse normale à bas risque. Il n’est pas noté d’anomalie sur les échographies prénatales. L’accouchement est eutocique. E. pèse 3040 g et son adaptation à la vie extra utérine est excellente comme en témoigne le score d’Apgar. Ses mensuration sont normales. La période post-natale se déroule sans incident. E. reçoit de la Vitamine K1 par voie orale à J0 et J3. Il est examiné aux urgences pédiatriques du CH 1 à J 19 pour des vomissements persistants et une perte de poids de 200 g. E. est hospitalisé. Le bilan biologique montre une petite anémie, une hypercapnie à 58 mm Hg, des signes biologiques de cytolyse hépatique, une bilirubine totale à 128 µmoles /l et une bilirubine conjuguée à 107 µmoles/l. Il n’existe pas d’hépatomégalie. E. sort du service au bout de 4 jours. Il est autonome sur le plan digestif et respiratoire. La cytolyse est mise sur le compte d’une infection à VRS qui a été retrouvé dans les sécrétions bronchiques.
Les parents déclarent, lors de l’expertise, avoir signalé lors de l’hospitalisation, à l’équipe soignante, la présence de selles décolorées. Ce point a été contesté par les médecins du Centre Hospitalier H. Les jours qui suivent sa sortie, les parents constatent la persistance de selles blanches mêlées parfois de sang, des vomissements avec des traces de sang, des saignements de nez lors de la désobstruction rhino-pharyngée.
Deux semaines plus tard E. convulse. Il est transféré par le SAMU au CH1. A son arrivée son teint est ictérique, il ne suit pas du regard, il est amorphe. E. est crispé et il existe des trémulations sans convulsion. La fontanelle antérieure est tendue, il existe une hépatomégalie et des hématomes pré tibiaux bilatéraux. Il est mis en évidence une hémorragie méningée multi étagée sus et sous-tentorielle des deux hémisphères cérébraux au scanner ainsi qu’une hémorragie intra-parenchymateuse périventriculaire au niveau de l'hémisphère gauche et des signes d'œdème cérébral avec déviation de la ligne médiane à droite.
E. est transféré dans l’unité de réanimation pédiatrique du CH1. où il est intubé et bénéficie d’une ventilation mécanique. Il va présenter une hypertension intracrânienne secondaire à de multiples hémorragies cérébrales et un état de mal réfractaire. L’IRM montrera un aspect de nécrose laminaire post-ischémique du territoire sylvien superficiel gauche, des lésions ischémiques de plus petite taille au sein des deux territoires cérébraux antérieurs, prédominant à droite, une hémorragie sous-arachnoïdienne diffuse hémisphérique gauche et des hématomes sous-duraux bilatéraux mesuré à 7 mm.
Sur le plan digestif, les selles sont décolorées et il persiste un ictère cholestatique et une hépatosplénomégalie. Le bilan hépatique est perturbé et montre une augmentation des PAL, des Gamma GT et des Transaminases.
E. présente des troubles de l’hémostase en lien avec la baisse des facteurs vitamine K dépendants responsables de saignements justifiant des transfusions multiples de plasma frais congelé, de culots globulaires et l’administration de vitamine K par voie parentérale.
L’échographie abdominale permet de suspecter le diagnostic d’atrésie de la voie biliaire principale devant une hyper-échogénicité des espaces portes et vésicule biliaire de petite taille.
Le diagnostic d’atrésie des voies biliaires extra hépatiques avec avitaminose K secondaire à l’insuffisance hépatique responsable d’hémorragies cérébrales multiples, est confirmé dans le service d’hépatologie pédiatrique dans lequel E. a été transféré. Le pronostic neurologique est très réservé au vu des lésions. Un traitement par URSOFALKÒ est institué. Une intervention de type KASAÏ et transplantation hépatique, est récusée après discussion multidisciplinaire en raison du risque d’ischémie cérébrale par bas débit au cours ou au décours de l’intervention.
L’évolution ultérieure est péjorative, tant sur le plan neurologique avec mise en évidence d’une volumineuse cavité porencéphalique hémisphérique gauche au scanner responsable d’une hémiparésie droite et d'un retard psychomoteur, qu’hépatique avec hypertension portale et insuffisance hépatocellulaire sévère. Une transplantation hépatique sera finalement réalisée à 17 mois de vie. Elle se compliquera d’une thrombose artérielle précoce de l’artère hépatique gauche. Pour l’heur l’évolution est satisfaisante. Rien ne permet de présager de l’évolution à long terme.

Griefs :
Le couple reproche un retard au diagnostic qu'il rend responsable des complications neurologiques et hémorragiques qui ont affecté leur enfant.

Avis du Collège d’experts
Le manquement consiste en une absence de prise en compte du bilan biologique hépatique ainsi que des signes digestifs par les pédiatres du CH1. Ce manquement a retardé le diagnostic d'une malformation congénitale (atrésie des voies biliaires) qui aurait dû être évoquée devant l’augmentation de la bilirubine conjuguée, et est à l'origine des complications multiples, hépatiques et neurologiques. Il a entraîné, selon le premier collège d’experts, une perte de chance de 95% d’éviter les séquelles neurologiques et de 60 % d’éviter les séquelles hépatiques.
L’avis d’un deuxième collège d’experts a été sollicité qui a conclu à une perte de chance de 100% d’éviter les séquelles neurologiques et 30% les séquelles hépatiques.
Selon ces experts, les lésions cérébrales ont constitué une contre-indication absolue à la réalisation d’un KASAÏ d’emblée. La perte de chance de proposer cette solution thérapeutique est totalement imputable au manquement. Toutefois, le taux de succès global de l’intervention de Kasaï est de 38 % et le taux de survie avec un foie natif à l’âge de 20 ans après Kasaï est d’environ 30 %.
La perte de chance sur le plan hépatique de 30 %, correspond à celle d’éviter une transplantation hépatique avant l’âge adulte.

Avis du Tribunal Administratif
Nous sommes en attente de la décision du Tribunal administratif.

Commentaires
Médical Un ictère à Bilirubine conjuguée chez un nouveau-né associé à des selles décolorées doit faire systématiquement rechercher une atrésie des voies biliaires.
L’avitaminose K secondaire est gravissime. Le pronostic dépend du type d’atrésie et du type d’intervention. L’intervention de KASAÏ ou hépato-porto-entérostomie consiste à remplacer les voies biliaires atrophiées par un segment d’intestin.
Juridique
La notion de perte de chance ne doit pas être analysée comme une forme de lien de causalité, mais bien comme le dommage. La perte de chance s’entend en effet de la disparition de la probabilité d’un évènement favorable (cass. 1er civ., 7 avril 2016, n° 15.14.88). En responsabilité médicale, on distingue la perte de chance de survie ou de guérison, de la perte de chance de refuser un acte de soins en cas de défaut d’information. La jurisprudence précise à cet effet que « la perte de chance implique seulement la privation d’une potentialité présentant un caractère de probabilité raisonnable et non un caractère certain (cass. 1er civ., 7 avril 2016, n° 15.14.88). Ainsi, ce n’est pas le lien de causalité qui est incertain, mais bien la probabilité que le dommage se réalise. C’est pourquoi seule une proportion du dommage correspondant à la potentialité que le dommage ne survienne pas en l’absence de fait générateur, qu’il appartient à l’expert d’évaluer et qui sera le cas échéant indemnisée. Ce concept a naturellement été créé par la jurisprudence afin d’éviter que les victimes ne perçoivent aucune indemnisation lorsqu’elles ont, en raison d’un fait générateur fautif, perdu une chance de voir réaliser une issue favorable qu’il est par nature impossible de déterminer avec certitude.
Me R. BUDET. Analyse et prévention des risques médicolégaux en obstétrique, pédiatrie et néonatalogie. Ed. DOIN, 2024 PP :68-70.
Bibliographie
- Biliary atresia: a condition requiring urgent diagnosis and treatment]. Chardot C, Debray D. Arch Pediatr. 2011 Apr ;18(4) :476-81.
- Analyse et prévention des risques médicolégaux en obstétrique, pédiatrie et néonatalogie. Ed. DOIN.
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