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Autisme et anoxo-ischémie : Légitimité d'une perte de chance en cas de causalité incertaine?

Me Cantaloube et Me Rousseau

Dr JP Chemla

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Les faits

Mme M., 40 ans au moment des faits, dont il s’agissait de la septième grossesse et du cinquième accouchement, a donné naissance au Centre Hospitalier H1 par les voies naturelles, au terme d’une grossesse sans complication, à un enfant E. de sexe masculin qui a présenté une mauvaise adaptation à la vie extra-utérine. E. pesait à la naissance 3,745 kg, son score d’APGAR était à 5 à 5 minutes, les lactates étaient mesurés à 18, le pH à 6,69, et la pCO2 à 173 mm de Hg, la saturation en oxygène à moins de 1 %. L’anoxoischémie perpartum est incontestable. E. a été immédiatement pris en charge par le pédiatre de garde, puis transféré au CH H2 où il est resté hospitalisé trois jours. La mise en hypothermie a été récusée du fait de la normalité de l’électroencéphalogramme. E. est retourné dans le Service de Néonatologie du CH H1, d’où il est sorti une semaine plus tard. E. a été surveillé au CAMSP, en raison de l’intensité de l’anoxoischémie per partum. L’évolution, la première année, a été tout à fait favorable. Le développement psychomoteur de l’enfant a été strictement normal, même si, au démarrage, il existait une hypotonie qui a, petit à petit, régressé. Ce n’est qu’après l’âge d’1 an et demi, que l’état psychologique de l’enfant s’est modifié, et que, progressivement, les troubles envahissants du développement sont apparus, et ont été classés dans le cadre nosologique d’un autisme. Un bilan génétique a été préconisé mais il n’a pas été réalisé. E. présente actuellement des troubles envahissants du développement, sans aucune spasticité.  En effet, les différents examens cliniques réalisés, tant lors de l’accedit que lors du suivi pédiatrique de l’enfant, ne rapportent aucun trouble moteur, aucune spasticité ni syndrome pyramidal. Enfin et surtout il n’existe aucune anomalie à l’imagerie IRM.


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Griefs 


 

Les parents de E. considèrent que la prise en charge du travail et de l’accouchement n’a pas été appropriée. Ils pensent que l’état neurologique de leur enfant est à mettre sur le compte de l’anoxoischémie qui s’est produite au moment de l’accouchement et qu’une césarienne aurait dû être réalisée devant les anomalies du rythme cardiaque fœtal qui se sont produites pendant le travail..


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Avis du Collège d’experts


Les opérations d’expertise se sont tenues au contradictoire des parties, mais pour une raison « personnelle » l’expert neuropédiatre n’a pas contribué à la rédaction du rapport d’expertise.

 

L’expert obstétricien, seul, a conclu :

 

« L’enfant E. présente à la fois des troubles du spectre autistique et des troubles cognitifs.

Il est dit dans ce rapport que le lien possible entre cette asphyxie néonatale et les troubles cognitifs et du spectre autistique est incertain. Il n’y a aucun élément objectif actuellement qui permet d’exclure le lien possible entre les troubles cognitifs de l’enfant et l’asphyxie fœtale ou les troubles du spectre autistique de l’enfant et de l’asphyxie fœtale.

Ces deux troubles peuvent être intriqués comme ils peuvent avoir des causes différentes mais le contexte de la naissance ne permet pas d’exclure ces hypothèses sans pouvoir en déterminer le pourcentage possible.

Les explorations génétiques à la recherche d’une autre cause responsable des troubles cognitifs et du spectre autistique n’ont semble-t-il pas été faits.

L'expert considère qu’il n’y a actuellement aucune autre cause retrouvée que l’anoxie per partum comme facteur de risque possible de ce syndrome ».


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Avis du Tribunal


Une procédure de plein contentieux s’appuyant sur les conclusions du rapport d’expertise a été introduite par les parents devant le Tribunal Administratif d’ORLEANS.

Le 19 mai 2022, le Tribunal Administratif d’ORLEANS a rendu son jugement engageant la responsabilité de l’établissement sur le fondement de la « faute » en jugeant que dans la mesure où il existait des signes de souffrance fœtale, une césarienne aurait dû être décidée plus précocement.

Néanmoins, le Tribunal a estimé qu’il n’existait pas de lien de causalité direct et certain entre la faute et le syndrome autistique de l’enfant.  

Les demandeurs ont formé appel devant la Cour Administrative d’Appel qui a rendu son arrêt.

L’arrêt a infirmé la décision de première instance sur le lien de causalité jugeant, à l’inverse des premiers juges, qu’en raison de l’impossibilité d’exclure le lien de causalité entre les troubles cognitifs, le spectre autistique de l’enfant et l’anoxie pendant l’accouchement, la « faute » de l’établissement dans la conduite de l’accouchement avait fait perdre à l’enfant une chance d’éviter les troubles :

« En raison de l’impossibilité d’exclure le lien de causalité entre les troubles cognitifs et de spectre autistique dont souffre E. et l’anoxie qu’il a subie, il doit être considéré que la faute du CH 1 a fait perdre à l’intéressé une chance d’éviter ces troubles.

Eu égard à la multiplicité des facteurs susceptibles d’être à l’origine des troubles autistiques, à l’absence de production de tests complets permettant d’exclure formellement l’étiologie génétique ainsi qu’à l’absence de troubles moteurs chez E, ce qui rend plus improbable le lien de causalité entre les troubles cognitifs et de spectre autistique et l’anoxie qu’il a subie, ce taux de perte de chance doit être estimé à 20 % du taux de 90 % ».

En effet, s’agissant des 90 %, la Cour avait jugé précédemment que :

« Si l’’accouchement avait été réalisé par césarienne vers 10h30, l’état d’acidose métabolique sévère aurait pu être évité avec une probabilité de 90 %. En l’absence d’élément permettant de contester utilement ce taux, il y a lieu de fixer le taux de perte de chance à 90 % ».

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Commentaire médical


On sait aujourd’hui que l’origine d’un autisme est multifactorielle et des causes géniques sont aujourd’hui largement incriminées  Ce ne sont pas les examens cytogénétiques fournis par les demandeurs qui suffisent à éliminer une cause génétique.  La liste officielle SPARK dénombre 141 gènes associés à l’autisme. Dans 20-30 % des cas, la cause de l’autisme est associée à un gène connu. Plus la recherche avance, plus le nombre de gènes découverts augmente. Ces gènes peuvent avoir un lien direct avec l’autisme ou indirect via des symptômes associés comme la déficience intellectuelle 

Les dernières analyses génétiques ont révélé l’existence de régions du génome associées de manière récurrente au syndrome, comme celles qui sont localisées sur les chromosomes 2q, 7q, 15q et les chromosomes sexuels. 

Seules les techniques génétiques par CGH-Array portant sur les principaux gènes impliqués dans l’autisme auraient peut-être permis d’y voir un peu plus clair en l’espèce même si tous les gènes en cause n’ont pas encore été découverts…

 

Commentaire juridique .


Dans cette affaire, l’expertise médico-légale a finalement été conduite par le seul expert gynécologue-obstétricien. Le neuropédiatre n’ayant pas participé à la rédaction du rapport.

Il a été jugé tant par le Tribunal que par la Cour que la prise en charge de l’accouchement de Madame M. n’avait pas été réalisée « conformément aux règles de l’art et aux données acquises de la science » retenant que l’accouchement aurait dû, au vu des anomalies du RCF, être réalisé vers 10h30 (et non 12h50) leur permettant ainsi d’en tirer la conclusion selon laquelle l’état d’acidose métabolique sévère aurait pu être évité.

Mais la réelle problématique du dossier réside dans l’appréciation du lien de causalité entre la « faute » de l’Établissement dans la conduite de l’accouchement (avec une naissance jugée retardée et, partant, une asphyxie per partum) et le syndrome du spectre autistique que présente l’enfant.

En effet, alors que E. a retrouvé des facultés motrices normales et que l’IRM cérébrale réalisée à J10 était normale et que E. n’a pas bénéficié des tests génétiques appropriés avec notamment une étude de panel de gènes impliqués dans les déficiences intellectuelles et les maladies psychiatriques, la Cour a pourtant, à l’inverse du Tribunal, admis que, parce que le lien de causalité entre les troubles cognitifs et le spectre autistique ne pouvait être exclu « formellement », il devait être considéré que la « faute » du Centre Hospitalier avait fait perdre à l’intéressé une chance d’éviter ces troubles. Pourtant, il ressort de la littérature scientifique que les troubles du spectre autistique ont pour origine un dysfonctionnement cérébral d'étiologie multifactorielle (génétiques, neurobiologiques ou environnementales). Parmi les causes environnementales figure l’anoxie cérébrale ou l’encéphalopathie néonatale mais sans aucune certitude.

Il a ainsi été fait application de l’enseignement des décisions rendues par les Tribunaux administratifs selon lesquelles la circonstance que les études scientifiques n’excluent pas la possibilité d’un lien de causalité autorisent finalement sa preuve (Conseil d’Etat, 9 mars 2007 N° 267335).

En d’autres termes, il a été considéré qu’il existait un faisceau d’indices graves, précis et concordants pour retenir que le fait générateur de l’accouchement avait contribué de façon formelle à la constitution des dommages subis par l’enfant.

La solution est singulière et particulièrement « dangereuse » dans la mesure où, une telle position ne repose sur aucune preuve scientifique car d’une part, les analyses génétiques n’avaient pas été poussées, et d’autre part que l’histoire clinique de E n’avait pas été analysée par un neuropédiatre. Il ne pouvait donc pas être affirmé que toutes les autres causes à l’origine des troubles autistiques pouvaient être formellement éliminées.


Liens internet


 

 

 

 

1 commentaire


Gilles VALLEUR
04 nov.

Singulière et préoccupante décision juriciaire, n'est-ce pas ?!

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