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Peau à peau : une technique recommandée mais à risque?

Dr JP CHEMLA et Dr Gilles VALLEUR

Me Cléa CAREMOLI et Me Marine RONEZ

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Les faits


  • Mme M., 23 ans au moment des faits, dont il s’agissait de la première grossesse et du premier accouchement, a donné naissance, en 2009, au CH H., par les voies naturelles, au terme d’une grossesse à bas risque, d’un travail et d’un accouchement normaux, à un nouveau-né de sexe féminin,  prénommée E., pesant 3170 g, mesurant 47 cm, et dont le périmètre crânien était de 33 cm. L’adaptation à la vie extra utérine de E. était excellente. Pendant le temps de la suture d’une déchirure périnéale, E. a été mise en peau à peau. Une fois la suture terminée, la sage-femme a quitté la salle de naissance pendant quelques minutes, laissant la jeune accouchée avec son mari, son nouveau-né étant toujours en peau à peau. Peu après être sortie de la salle de naissance, la sage-femme a été rappelée par le mari de la parturiente qui s’inquiétait de l’état de son enfant qui paraissait inanimé. L’équipe de garde a été immédiatement appelée. La réanimation a été entreprise sur le champ. Elle a permis à E. de récupérer une activité cardiaque normale et une ventilation spontanée. E. a été transférée, par le SMUR, dans le service de réanimation le plus proche. E. présente, actuellement, malgré les soins qui lui ont été administrés, une paralysie cérébrale en lien avec une anoxoischémie qui s’était produite pendant le temps du peau à peau.


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Griefs 


  • Mme M. se plaint de ne pas avoir été informée des risques du peau à peau, ni des modalités de positionnement de son enfant. Elle reproche au service d'avoir été laissée seule avec son mari sans surveillance appropriée. Elle rend le service responsable des complications neurologiques affectant son enfant.


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Avis des différentes juridictions sollicitées


  • Cette affaire a d'abord fait l'objet d'une plainte devant la Commission de Conciliation et d'Indemnisation (CCI)

    Le collège d'experts, missionné par la CCI, composé d'un pédiatre et d'un obstétricien, avait conclu à un défaut d'information. En revanche il n'était pas en mesure de déterminer la cause des lésions neurologiques affectant ce nouveau-né. Selon lui, outre une anoxoischémie, plusieurs autres étiologies étaient possibles. Nonobstant ce point, pourtant important sur le plan médicolégal, la CCI a rendu le Centre Hospitalier responsable de l’accident survenu, à cause d’un défaut d’organisation du service. La CCI reprochait l’absence d’une surveillance constante de la patiente pendant la mise au peau à peau. L'assureur n'a pas suivi l'avis de la CCI. L'ONIAM ne s'est pas substitué.


  • En raison du refus de l'avis de la CCI par l'assureur, une plainte a été déposée par les demandeurs près le Tribunal Administratif (TA)

    Un nouveau Collège d'experts a été missionné, composé aussi d'un pédiatre et d'un obstétricien. Ce Collège a, contrairement au premier collège d'experts, établi un lien de causalité direct certain et exclusif entre le peau à peau et les complications neurologiques de E. Il se serait produit pendant le peau à peau une anoxoischémie qui aurait pu être évitée par une surveillance plus rapprochée. Devant les arguments présentés en défense par l'assureur (cf. infra), le TA a rejeté les conclusions des demandeurs demandant la condamnation du Centre Hospitalier et de l'assureur sur le fondement de la responsabilité pour faute ainsi que les conclusions demandant l'indemnisation, par l'ONIAM, au titre de la solidarité nationale.


  • Devant ce jugement du TA qui leur était défavorable, les demandeurs ont fait appel

    Devant les arguments présentés en défense qui portaient non seulement sur le mécanisme ayant conduit au dommage mais surtout sur les recommandations concernant les modalités de la surveillance lors d'un peau à peau (cf.infra), le Tribunal a conclu qu'il ne résultait pas de l'instruction que la surveillance avait été défaillante, et considéré que les demandeurs n'étaient pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal avait rejeté leurs conclusions dirigées contre le Centre Hospitalier et l'assureur et qu'il en allait de même pour l'ONIAM.

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Commentaires


  • Sur le plan médical

  • L'argumentaire médical en défense, rédigé par le Pr P., précisait : "...Il n'existait pas à l'époque des faits de recommandations de pratiques cliniques relatives à la mise en peau à peau en salle d'accouchement, des nouveaux nés à terme bien portants qui aurait été élaborée par l'une des sociétés savantes concernées par la périnatalité. Le peau à peau est une pratique ancestrale qui a bénéficié d'un soutien très fort, dans le but de favoriser la mise en place de l'allaitement maternel, tant au niveau mondial (OMS 1992) que national via les 2 organismes ministériels que sont l’ANAES en 2002 puis la HAS en 2006. Ce n'est que dans la version 2014 de la HAS, soit 5 ans après les faits, que les modalités pratiques de la mise en peau à peau des nouveau-nés, de sa surveillance et de l'information à communiquer aux parents, ont été précisés. La HAS se référait, pour ce faire, à l'article du docteur BRANGER et de son groupe de travail de Pays de Loire, mis en ligne, après les faits, en 2013...". En effet, les recommandations applicables au moment de la naissance de E. dataient de 2006 et étaient floues, notamment pour ce qui concernait les modalités de la surveillance. Les demandeurs n'ont pas pu prouver que le Centre Hospitalier H. s'en était écarté. Cet argumentaire a permis de débouter les parents de leur requête en appel.


  • En mai 2025, la HAS a publié un outil d’amélioration des pratiques professionnelles fondé sur une analyse des événements indésirables graves associés aux soins (EIGS) survenus chez les nouveau-nés. L’analyse a mis en évidence un certain nombre de causes de ces EIGS. Parmi elles, des erreurs dans la technique du peau à peau sont à l'origine évènements indésirables graves survenant en salle de naissance. La HAS considère comme indispensable la mise en place de protocoles précis détaillant les modalités d’installation, de surveillance et d’information des parents avec un point de vigilance particulier sur les critères d’interruption du peau à peau . Il existe actuellement des recommandations précises qui émanent des autorités de santé concernant les modalités d'un peau à peau sans risque.


  • On ne peut qu'insister sur la nécessité d'une bonne traçabilité tant de l'information communiquée à la parturiente que de la surveillance néonatale mise en place lors d'un peau à peau en salle de naissance.


    • Sur le plan juridique


  • Tout d’abord, il convient de relever - si l’on fait abstraction de la problématique centrale des données actuelles de la science- qu’un défaut d’information peut être retenu quand l’information sur les risques que peut comporter une pratique n’a pas été délivrée. En l’espèce, la cause de l’anoxoischemie n’était pas déterminée dans le rapport des premiers experts (CCI) ce qui rend contestable la notion de défaut d’information, de même que la notion de désorganisation du service, en l’état d’une simple hypothèse, sans lien de causalité direct démontré. Outre le fait que l’information en 2009 sur le peau à peau présentait des contours beaucoup plus flous qu’à présent.

 

  • Le second rapport retient quant à lui un défaut d’information et un manquement ayant prêté à conséquence, en les justifiant, mais en se basant sur les données acquises de la science au moment où ce rapport est établi et non au moment où les faits se sont produits.

 

  • Or, en droit médical, la notion de “donnés acquises de la science » est une notion fondamentale qui renvoie à l’état des connaissances scientifiques et techniques reconnues à un moment donné, telles qu’elles résultent de la littérature spécialisée, des consensus professionnels ou des recommandations émises par des instances compétentes (HAS, sociétés savantes…). Cette notion est donc évolutive et ne fige pas la pratique médicale dans le temps mais impose au professionnel de santé de se conformer à ce qui est considéré comme scientifiquement valide à l’instant où il agit, et non selon les standards qui seront établis plus tard.


  • Il sera enfin relevé que l’Oniam a refusé de se substituer à l’assureur, attribution prévue aux termes de l’article L.1142-15 CSP. Ce refus peut s’expliquer parce que l’ONIAM considère soit que la responsabilité du professionnel de santé n’est pas engagée ou que le dommage ne relève pas du régime des accidents médicaux prévu par la loi Kouchner.

    Il est également possible que l’Oniam refuse de se substituer quand l’établissement a adressé une lettre à fin de non recevoir au patient précisant les délais et voies de recours et que le patient n’a pas adressé une requête devant le TA compétent dans les délais. L’Oniam ne disposant alors plus d’action récursoire à l’encontre de l’établissement responsable refuse de se substituer, ne pouvant récupérer l’indemnisation allouée.


  • En l'espèce, le TA a été saisi dans les délais à la suite de la procédure CCI. La position de l’ONIAM se fondait sur une absence de responsabilité de l’établissement et une absence d’accident médical non fautif.


Bibliographie 


  • Analyse et prévention des risques médicolégaux en obstétrique, pédiatrie et néonatalogie. Ed. DOUIN

  • BRANGER et al., Indications et surveillance du nouveau-né à terme en peau-à-peau en salle de naissance. Juillet 2013. Réseau sécurité, naissance, naitre ensemble.

  • Décret n°98-899 du 9 octobre 1998 modifiant le titre Ier du livre VII du code de la santé publique et relatif aux établissements de santé publics et privés pratiquant l'obstétrique, la néonatologie ou la réanimation néonatale

  • Malaises graves et morts subites après une naissance normale à terme : à propos de six cas. H. GATTI et al., Archives de pédiatrie, éditions Elsevier, 2004, vol 1 1, p.432-5.

  • Mort de nouveau-nés apparemment sains en salle de naissance : un problème de

       surveillance? S. Espagne et al., Archives de Pédiatrie, éditions Elsevier, 2004, vol11, p. 436-9.

  • Onze cas de malaises graves de nouveau-nés à terme et présumés sains dans les premières heures de vie. B. BRANGER et al., Journal de gynécologie et biologie de la reproduction, éditions Elsevier-Masson, 2007, vol.36, p.671-9

  • Peau à peau en salle de naissance dans une maternité de niveau III : Pratique et sécurité.

Étude descriptive semi-expérimentale à propos de 50 sage-femmes et 58 couples « mère- nouveau-né » à la maternité du Centre Hospitalier Universitaire de Besançon. R. CHISA, La Revue de la sage-femme, éditions Elsevier-Masson, 2009, vol 8, p. 138-44.

 


 

 

 

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