Hystérectomie et plaie intestinale : maladresse ou aléa?
- Dr Jean-Pierre Chemla

- 1 août
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Les faits
Mme M, 38 ans au moment des faits, a bénéficié d’une hystérectomie totale inter-annexielle par laparotomie médiane sous-ombilicale au Centre Hospitalier H, après 2002, en raison de l’existence d’un utérus polymyomateux symptomatique. Cette intervention, qui a été difficile en raison du volume utérin et de l’existence de nombreuses adhérences entre l’utérus et la paroi d’une part et l’utérus et les intestins d’autre part, nécessitant une adhésiolyse préalable à l’hystérectomie, a été compliquée d’un abcès de paroi et d’une pelvipéritonite. La pelvipéritonite était due à une perforation sigmoïdienne. Elle a nécessité une reprise chirurgicale par laparotomie. Il a été procédé à une résection sigmoïdienne et à la mise en place d’une colostomie de décharge selon Hartmann. Les suites opératoires immédiates ont été simples. Malheureusement, environ 15 jours après la laparotomie et la mise en place de la colostomie, il s’est produit une désunion de la colostomie, nécessitant des soins infirmiers réguliers. Le rétablissement de la continuité intestinale a pu se faire quelques mois plus tard.

Griefs
Mme M. se plaint devant la Commission de Conciliation et d'Indemnisation (CCI) des multiples interventions subies du fait des complications survenues au décours de l'intervention subie et déclare ne pas avoir compris les informations qui lui ont été données et n'avoir donc pas pu se préparer aux complications possibles de l'intervention qu'elle allait subir.

Avis du Collège d’experts
Le dommage consiste en des douleurs abdominales résiduelles et des séquelles psychologiques sous forme de réminiscences pénibles des faits en cause sans nécessité d'un traitement médical de type psychiatrique.
La cause du dommage est une perforation colique survenue au décours d'une hystérectomie pour fibrome par laparotomie. Cette perforation a nécessité une réintervention à J 9, opération de Hartmann, avec colostomie. Le rétablissement de la continuité digestive a été faite 8 mois plus tard avec des suites opératoires simples.
L'expert indique que Madame M. n’a pas été informée oralement des risques de plaie digestive. Le consentement signé par Madame M est un consentement généraliste où les risques propres à l'hystérectomie ne sont pas précisés en particulier le risque de plaie digestive.
L'expert estime que l'obligation d'information incombant aux équipes médicales du Centre Hospitalier H. a été incomplètement rempli et n'est donc pas conforme.
Les moyens techniques et en personnel de santé nécessaires à l'intervention ou requis étaient adaptés.
L'indication de l'hystérectomie était justifié par l'abondance des métrorragies évoluant depuis plusieurs mois résistant au traitement médical responsable d'une anémie, les fibromes utérins étaient volumineux et la patiente n'avait plus de désir de grossesse. En l’absence d’intervention, les métrorragies auraient continué, avec la gêne fonctionnelle que cela entraîne.L’intervention a été réalisée selon les règles de l'art.
La survenue d'une plaie colique au décours de l’hystérectomie est probablement en rapport avec la libération des adhérences digestives, séquelle des 2 césariennes.
Il s'agit d'une complication connue dont la fréquence est inférieure à 1%, favorisée par la profondeur du petit bassin et un IMC à 38.
Il ne s'agit pas d'une maladresse du chirurgien. Les opérateurs ont été attentifs. La décision de réintervention a été prise rapidement après avoir fait un bilan biologique et un scanner. La réintervention a été faite de manière conforme
Les abcès profonds et la péritonite par perforation sigmoïdienne sont des infections associées à la chirurgie. Les facteurs de risque sont constitués par les interventions préalables de la patiente facilitant les adhérences et par son obésité morbide de grade 2 multipliant les risques infectieux par un facteur 2 à 4.
il s'agit d'infections post-opératoires associées aux soins sans cause étrangère.
Il n'y avait pas d'autre choix que de faire une opération de Hartmann exposant un fort risque de fistules et de péritonite post-opératoire. Il n'y avait pas d'alternative thérapeutique.
Le dommage est anormal eût égard à cet état antérieur et son évolution prévisible.
Madame M. avait des prédispositions connues le jour du fait générateur, risque d'adhérences digestives du fait de ses antécédents chirurgicaux et obésité morbide de grade 2.
Le dommage est directement et exclusivement lié à un acte de soin.

Avis de la CCI
Le dommage est directement imputable à un acte de soin à savoir l'hystérectomie Inter annexielle. Dans la mesure où la perforation colique est survenue au décours de cette intervention, il s'est nécessairement produit à un accident médical. Après en avoir délibéré la Commission considère qu’au regard de cette évolution prévisible, la situation de Madame M. est notablement plus grave que ce qu'elle aurait été à défaut de la prise en charge.
Par ailleurs, la complication est qualifiée d'exceptionnelle par les experts avec une fréquence de survenue inférieure à 2%. Ainsi, les conditions, auxquelles les dispositions de l'article l-1142-II du code de la santé publique subordonnent la réparation, au titre de la solidarité nationale, des préjudices subis par une personne victime d'un accident médical, sont remplies.
Dès lors il appartient à l'Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), d'indemniser les préjudices subis par Madame M.
Le préjudice d’impréparation, subi par Madame M, doit être indemnisé par l'assureur du Centre Hospitalier H. Les préjudices subis par Madame M., du fait de l'accident médical non fautif, seront indemnisés par l’ONIAM.
La Commission considère qu’au cours de la consultation préopératoire le praticien aurait dû prendre en compte les difficultés de compréhension de la langue française présentée par la patiente et s'assurer de sa bonne compréhension de l'information fournie. Elle estime que l'obligation d'information incombant aux équipes médicales du Centre Hospitalier H. a été incomplètement remplie et n'est pas conforme. Après en avoir délibéré la Commission retient que la responsabilité du Centre Hospitalier H. est engagée sur le fondement d'une faute et qu'il appartient à cet établissement d'indemniser le préjudice d'impréparation qui en est résulté pour Madame M.

Commentaires
Un médecin doit à sa patiente une information claire, loyale, exhaustive et...compréhensible. Cette information doit être traçable et délivrée par tout moyen. En l'espèce, la patiente ne maîtrisait pas la langue française et n'avait pas compris les informations pourtant délivrées par le Centre Hospitalier qui ne s'était pas donné les moyens d'une information compréhensible.
Le document généraliste, souvent opposé en défense lors des expertises, au titre de preuve d'une information de qualité et d'un consentement éclairé, n'est que très rarement pris en compte par les experts, les Tribunaux ou les Commissions même si ce document est signé par la patiente.
Seule l'urgence exonère le praticien de cette obligation.
Dans tous les autres cas, l'information délivrée à une patiente, si elle est incomplète ou non tracée dans le dossier médical, engendre un préjudice indemnisable. Ce préjudice est au minimum un préjudice d'impréparation, lorsqu'il n'existe pas d'alternative thérapeutique. Dans le cas contraire, il en résulte une perte de chance variable, selon les cas, mais souvent très importante d'éviter le dommage.
Il ne suffit pas à un accident de santé de survenir au sein d'un cadre médicalisé et/ou à un moment où des actes de caractère médical peuvent être accomplis, pour en faire un accident médical fautif ou non fautif et ouvrir droit à une indemnisation. Il faut aussi et d'abord que l'accident de santé en question ait un lien de causalité direct avec un acte de prévention, de diagnostic ou de soins, c'est-à-dire que l'accident doit avoir été provoqué par l'acte médical en question et pas seulement être survenu dans le contexte d'un acte médical. Un simple lien de proximité, temporel ou spatial, n'a rien à voir par définition, avec un authentique lien de causalité.
Par ailleurs, pour être considéré comme un accident médical et indemnisable à ce titre par l'ONIAM, une complication doit être :
La conséquence exceptionnelle (risque inférieur à 5%), d'un acte médical indiqué pour lequel il n'existe pas d'alternative,
Anormale eût égard à l'état antérieur et à l'évolution prévisible de la pathologie pour laquelle un acte de soin est réalisé
Répondre à des critères précis (DFP supérieur ou égal à 25%, troubles graves dans les conditions d'existence, être à l'origine d'arrêts de travail continus ou discontinus supérieurs à 6 mois).
Bibliographie
Article L-1142-II du code de la santé publique
Analyse et prévention des risques médicolégaux en obstétrique, pédiatrie et néonatalogie. Ed. DOUIN

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